« De son sein couleront des fleuves d’eau vive. » Jn 16, 38


Homélie pour la Pentecôte, veille au soir

Gap, Église des Cordeliers, le 19 Mai 2018

Père Jean-Dominique Dubois, ofm

 

Mémoire de Marcel Arnaud, Paroissien gapençais de St André des Cordeliers

Résistant, mort au camp de Bergen-Belsen le 19 Avril 1945

 

Abbatiale de Saint Savin  Christ roman 0004

Le tragique de la mort du Christ laisse les disciples désemparés, enfermés dans la peur et les murs de leur lâcheté, voire de leur reniement. Toute épreuve, mais surtout les plus crucifiantes, manifestent implacablement la valeur d’un homme, ce pour quoi il est prêt à mourir et ce sur quoi il a réellement bâti sa vie. C’est en voyant mourir le nazaréen, reconnu comme un maître par une multitude de ses coreligionnaires, que le centurion romain, chef de l’exécution, témoigne du condamné : « Celui était vraiment fils de Dieu. » Mc 15, 39 La tradition parle de la conversion du soldat. Il est nommé saint Longin.

C’est sur la croix que Jésus manifeste son cœur profond de Fils. Déjà, ses enseignements et ses gestes de miséricorde révélaient l’extraordinaire visage d’amour de Dieu son Père. Mais quand toute dignité vous est enlevée de la manière la plus sadique qui soit, quand vos plus proches, vos amis, vos intimes vous abandonnent à l’exception de quelques uns, quand les plus hautes autorités de votre peuple témoignent contre vous face à l’occupant romain, quand les ténèbres de la terre rejoignent la terrible épreuve morale qui broie une âme immergée dans le péché du monde, alors, qu’en est-il d’une âme et d’un cœur qui se disait Maître et Seigneur autant que serviteur ? C’est précisément là que Jésus, n’ayant plus visage humain, témoigne de sa foi et de sa communion avec le Père de toute la création. La paix de son visage, le pardon pour ses bourreaux jaillissant de sa prière de condamné, le don de sa Mère, l’Esprit donné comme un enfant qui s’endort sur le cœur de son Père et l’Esprit donné à l’Église naissante pour que par elle cet Esprit envahisse toute la terre, tout cela témoigne pour Jésus, au delà des mots et des explications, au delà des discours et des raisonnements humains. L’écho de la mort de Jésus a traversé le temple, simultanément tout le cosmos, pour retentir jusqu’à aujourd’hui à travers le cœur de ses disciples. Ceux-ci savent qu’ils ne sont pas plus grand que le maître, que c’est seulement dans leur mort, à travers leur mort et après leur mort que l’on saura la valeur de ce qu’ils ont fait et dit.

Or Jésus a « trahi », livré, les secrets de son cœur dans une seule et unique prière, un seul et unique désir pour nous. Sa prière n’était pas dispersion et distraction comme si fréquemment la nôtre. Le feu d’amour habitant son cœur de Fils Unique était pour chacun de nous afin que le Père nous donne la gloire qui est leur unique partage à tous les deux. Nous, pauvres hommes, cherchons trop souvent la gloire qui vient les uns des autres, la gloire qui nous met en valeur pour notre satisfaction ou notre intérêt, la gloire qui nous élèvera une tour de Babel afin de rassembler autour de nous une cour qui sera seule à comprendre notre langage nous révérant alors comme un dieu aussi longtemps que possible. « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant » disait saint Irénée. Or « la vie de l’homme c’est la vision de Dieu ». La gloire en hébreu signifie ce qui est lourd, ce qui donne du poids à une vie humaine. La Gloire de Dieu c’est l’Esprit Saint qui unit le Père et le Fils dans un même amour de réciprocité où n’existe ni l’ombre d’un égoïsme ni celui  d’un accaparement. Car l’Esprit Saint est l’Amour en personne que ne possèdent ni le Père ni le Fils mais que le Père et le Fils possèdent en commun autant que celui-là les possède dans un échange éternel. Au cœur de la Trinité c’est une circulation de vie éternelle où ce qu’est chaque personne est totalement livré aux deux autres adorables. Ils sont Un en trois parce que comme le disait un petit enfant : si Dieu est amour il ne peut être que trois.

Jésus a tout reçu du Père. Il a reçu chacun de nous en particulier. Nous sommes dons du Père au Fils. Ce qu’il a reçu il l’a donné. En mourant Jésus rend tout au Père et nous rend chacun à Lui. Et sa prière ardente est que le Père, à travers son sacrifice de Fils Unique, nous donne à tous l’Esprit, leur Gloire commune, pour que nous vivions du même Esprit, pour qu’à travers chacune de nos vies terrestres nous entraînions toute la création dans la danse trinitaire de l’Amour jusqu’au jour de la transfiguration éternelle de l’univers entier.

Ne craignons pas de relire tous les Evangiles, particulièrement celui de Jean, pour entendre la prière de Jésus pour nous, pour comprendre le prix que nous avons tous à ses yeux. Que nous réalisions comme la mystique de la Drôme, Marthe Robin, que « nous sommes tout pour Dieu ». Que Dieu n’a rien retenu de Lui pour Lui et qu’il nous a tout donné de lui en nous donnant son corps et son âme, sa divinité dans l’Eucharistie, qu’il nous a tout donné de Lui en nous donnant l’Esprit Saint.

Le papa de saint Jean-Paul II fit remarquer un jour à son enfant Karol qu’il ne priait pas assez l’Esprit Saint. Et le papa d’apprendre à son fils une prière demandant les sept dons de l’Esprit. L’enfant, le prêtre, l’évêque et le pape que fut le petit Karol a récité cette prière toute sa vie.

Et nous, prions nous l’Esprit Saint tous les jours ? Croyons nous que le Christ veut tout nous donner de son Esprit pour être des chrétiens vivants et vivifiants, des témoins de l’Amour du Père pour tout homme ?  Ne sommes nous pas parfois un peu atrophiés parce que nous ne prions pas assez l’Esprit, parce que nous ne vivons pas suffisamment consciemment dans et par son souffle ?

Aujourd’hui nous avons la joie de faire mémoire d’un paroissien, fervent catholique, qui, aux heures les plus sombres de l’histoire de la France et de l’Europe, a témoigné de sa foi chrétienne avec simplicité, force, limpidité et joie, d’une façon bouleversante d’évidence. Nul doute que les dons de l’Esprit reçus au jour de son baptême et de sa confirmation ont animés l’esprit et l’âme de Marcel Arnaud. Né en Charente-Maritime, il fut très tôt orphelin. Il devint haut-alpin par l’une de ses tantes de Gap qui l’élèvera ainsi que sa sœur. Sa force de caractère empreinte de bonté et sa personnalité riche autant qu’intelligente feront très tôt de Marcel un bon et beau camarade pour tous, un homme pour les autres à travers de multiples initiatives professionnelles et sociales. Recalé par l’anticléricalisme ambiant pour le poste d’instituteur il ne se décourage pas. Il rebondit et témoigne de sa foi en mettant autrement ses talents au service des autres. Nourrissant son intelligence des écrits d’Emmanuel Mounier et d’autres penseurs chrétiens il est armé pour résister au nazisme en créant du lien de multiples manières, jusque dans le camp de Neuengamme puis celui de Bergen-Belsen où il décédera de maladie quelques jours après la libération par les troupes anglaises. Ses camarades de captivité témoignent de sa bonté pour tous et de son sens du partage. A l’exemple du Christ Marcel Arnaud s’est livré totalement. Tout ce qu’il a reçu en son corps, son âme et son esprit Marcel l’a déjà offert à sa vie familiale, professionnelle et sociale. Au pire de ce que l’homme peu connaître par la folie d’une idéologie néo-païenne fruit d’un humanisme athée, Marcel continue de donner et de se donner. Non seulement il reste un homme attentionné, mais un homme fidèle jusque dans le couloir de la mort. Son bien le plus cher, son épouse Marthe et ses trois enfants Dominique, Roseline et Claire dont il attendait la naissance, ne quitte pas son cœur. A ses plus proches compagnons il demande de prier pour chacune de leur famille respective, témoignant qu’il ne pensait pas d’abord à ses souffrances de captif destiné à l’extermination, mais à la souffrance des proches de chacun d’eux, proches privés de leur présence, de leur affection et de leur soutien.

« Je ne vous laisserai pas orphelin » Jn 14, 18 dit Jésus avant de mourir. « Je vous enverrai un autre défenseur, l’Esprit de Vérité qui vous conduira vers la vérité tout entière ... Il vous rappellera tout et vous enseignera tout ». Jn 14, 16 ; 26

Frères et sœurs nous ne sommes pas orphelins puisqu’aujourd’hui l’Esprit du Père et du Fils nous est donné. Prions-le de tout notre cœur pour continuer l’œuvre de Jésus comme en a témoigné Marcel Arnaud, jusqu’au jour il n’y aura plus sur terre ni orphelins, ni martyrs, ni bourreaux, ni idéologies de mort mais seulement des enfants de Dieu libérés de toutes les tours de Babel de l’orgueil et de l’égoïsme humain.

Puisque nous sommes nés de l’Esprit du Christ, vivons de l’Esprit.

© Fr. Jean-Dominique 2017