Diviseur, crucifié et perdant, le chrétien un homme étrange...

Homélie pour le 13 Dimanche du Temps Ordinaire (A)

Père Jean-Dominique DUBOIS, ofm, Chapelain de Notre-Dame du Laus

 

Notre-Dame du Laus

Notre-Dame du Laus

Certaines paroles de l’Evangile sont vite oubliées. Et si on ne les oublie pas nous avons tendance à les rejeter avec force jugeant l’Evangile impraticable. Je notais, lors de mon service à Lourdes, qu’une parole de la Vierge Marie était peu commentée, y compris des serviteurs du sanctuaire pyrénéen que nous étions : « Voudriez-vous manger de ces herbes amères ? » ...

Aujourd’hui, à la fin de son discours pour former les missionnaires de son Evangile, Jésus nous avertit que nous serons des diviseurs dans notre propre famille, nous serons crucifiés par les nôtres, nous paraîtrons étranges et objets de scandale car nous serons prêts à tout perdre dans un monde qui ne cherche qu’à gagner pour jouir.

Pilate en a eu froid dans le dos. Il est ébranlé et plein d’hésitations devant ce pauvre homme, Jésus, trainé par ses coreligionnaires juifs. Pilate a en face de lui un diviseur, crucifié et perdant, mais qui l’impressionne beaucoup par sa détermination et sa sérénité non agressive ni moralisante.

Il y a force tumulte en effet à cause de Jésus au sein du peuple juif en raison de l’enseignement puissant et original de ce nouveau rabbi. On est divisé à son sujet à un point que le tumulte mène le peuple au bord de l’émeute. Déjà flagellé ce Jésus semble inébranlable en son âme, déterminé à mourir crucifié plutôt que de renier Celui qui l’a envoyé. Enfin Jésus est perdant sur toute la ligne car toute sa garde rapprochée l’a lâché. Le premier d’entre eux, Pierre, est là à le renier trois fois.

Pilate n’oublie pas son devoir pour la paix aux frontières et la sécurité publique. Cependant il se lave les mains de la mort de cet homme se retranchant derrière son obligation à garder l’ordre dans l’Empire. Son cœur profond sait cependant où est la vérité. Il l’a vue briller sur le visage tuméfié et humilié de Jésus. Il n’a pas voulu suivre sa conscience pour braver la vérité d’un ordre légitime, fut-il de César. En cet instant tragique le silence et la détermination de Jésus parlent plus fort. La Vérité en personne est là, plus brillante et efficace que tous les discours justificatifs. Mais la Vérité divise, mène à la croix et à tout perdre dans un monde qui la refuse pour suivre ses propres lois.

 

Etrange religion que la nôtre, frères et sœurs, qui nous conduit à proclamer heureux les pauvres, les miséricordieux, les doux et les assoiffés de justice. Étrange dans une société qui proclame de réussir dans la vie plutôt que de réussir sa vie. Etrange choix que nous avons à faire risquant d’être persécuté plutôt que de trahir le Bien-Aimé.

Pauvres chrétiens que nous sommes lorsque nous prenons l’Evangile pour justifier l’Evangile, tordant ainsi la vérité. Parce que Dieu nous dit d’honorer père et mère, voilà que nous ne sommes pas prêts à faire le choix courageux qui s’impose quand une vocation particulière saisit notre cœur. « Tu n’es plus ma femme... » - « Tu n’es plus mon fils... » Paroles d’aujourd’hui, entendues en confidence, parce que l’épouse venait de faire une authentique rencontre avec Jésus, ou que le fils unique de la famille, après une vie dissolue, choisissait de rentrer en vie religieuse... On se tait dans la société actuelle pas peur d’être tagué comme d’affreux réactionnaires anti-progrès... On est vite taxé d’être un gourou, d’être intolérant ou de former une secte, tout ceci y compris dans l’Eglise parce que l’esprit du monde traverse également les rangs de notre communauté. On veut bien une parole qui réconforte, mais enfin, soyons consensuels et non clivant... Il faut être dans l’air du temps, le sens du progrès, du multi-tout c’est-à-dire que tout se vaut et qu’il s’agit de respecter les opinions les plus contradictoires. Quand une société, la nôtre, s’est permis de lever un interdit fondateur inscrit dans le serment d’Hippocrate plusieurs siècles avant Jésus Christ - je parle de l’avortement - comment ne pas comprendre toutes les dérives qui s’en suivent... Le droit à l’enfant aujourd’hui prime sur les droits de l’enfant et la liberté de mourir dans une soi-disante dignité oblige les enfants à participer à la décision des parents de se donner la mort...

Le cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, n’a pas peur de dénoncer cette prétention indue de nos sociétés européennes à interdire aux chrétiens de prendre la parole dans l’espace public, hormis des rencontres convenues ou consensuelles. Or immense paradoxe, nos sociétés vides de sens et d’un discours mobilisateur ont soif d’une parole vraie et vivifiante qui donne sens et espérance. Voyez combien des papes comme Jean-Paul II et Benoît XVI ont mobilisé les foules par leur enseignement.

A leur école, frères et sœurs, ainsi que nous le rappelle le pape François dans la lettre encyclique La Joie de l’Evangile, ayons à cœur de proclamer à nos frères, à nos proches et à tous ceux qui nous sont confiés la parole de vérité venu du fond des âges à travers Abraham et Moïse, les prophètes et les rois, les petits et les grands de la Bible. Parole accomplie en Jésus Christ, Parole de vie et de liberté, Parole de consolation et de guérison, Parole d’éternité qui crie combien l’homme, tout homme, est follement aimé de Dieu, espéré par Dieu le Père. Parole qui a fondé toute notre société européenne, mais aujourd’hui rejetée par le politiquement et le médiatiquement correct. Beaucoup de nos frères musulmans eux-mêmes attendent ce témoignage...

Voilà bien le challenge qui nous attend. S’il faut témoigner jusqu’à accepter de susciter de perdre les siens et de les voir se diviser à notre sujet, s’il faut témoigner jusqu’à porter une lourde croix ou perdre les plus beaux dons que le Seigneur nous a fait, ceci est impossible sans une union profonde à Jésus Christ. On ne peut par mourir pour le CAC 40, un indice économique. On ne mourra pas non plus, seulement pour des valeurs qu’on ne sait même pas toujours définir. On ne peut mourir sinon sans savoir que notre mort sera d’une fécondité immense pour ceux-là même qui auront été nos bourreaux. Car un chrétien ne peut vouloir aller au paradis sans que tous ses frères et sœurs de la terre le rejoignent. C’est pour eux qu’il veut donner sa vie. Le but de notre sacrifice et de notre fidélité est la conversion de nos ennemis pour une terre où tous auront leur part et leur compte d’amour.

Or il est impossible de vivre ce martyr si la Parole du Christ n’habite pas notre vie, notre âme, nos décisions et nos choix les plus intimes comme les plus officiels. Impossible si nous ne connaissons la Parole qu’en kit ou en miettes, non dans toute son intégralité, sa beauté et sa cohérence. Impossible si on veut être chrétien en famille mais pas en politique. Lire assidûment et connaître en profondeur la Bible dans toute son extension ainsi que l’intégralité de l’enseignement de l’Eglise, contenue dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique, est d’une urgence rare pour les chrétiens.

Tâche difficile qui engage notre propre conversion car « elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes. » He 4, 12

Qui de nous se laissera purifier, émonder par la Parole de Dieu jusqu’aux grandes profondeurs de son être, jusqu’à ce qu’elle structure tous les fondements de notre être ? Qui de nous acceptera de vivre mort au péché selon la grâce de son baptême pour vivre du Ressuscité ? De celui-là seulement on pourra dire : « Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé. » Mt 10, 40

Chrétiens, réveillons nous, car nous aurons des comptes à rendre à Dieu notre Père de notre baptême pour tous nos frères en humanité. Une Eglise qui n’est plus missionnaire est une Église qui meurt. Seule est missionnaire une Église dont les membres acceptent d’être martyrs. Saint Jean-Paul II nous l’a crié dans sa lettre d’entrée dans le 3° millénaire en disant que vouloir être baptisé et vouloir être martyr c’est la même chose.

© Fr. Jean-Dominique 2017