« Marchez sous la conduite de l’Esprit Saint. » Ga 5, 16

Homélie pour la Solennité de Pentecôte (B)

Gap, Église Saint Roch, le 20 Mai 2018

Père Jean-Dominique Dubois, ofm

Assise St Damien 2

Lorsque la mort vient nous prendre ou nous voler un être chair, notre cœur saigne et notre esprit s’interroge. L’heure du bilan a sonné. La foi chrétienne parle de jugement. Le jugement particulier que le Seigneur exerce dans l’intimité de son amour, au seul regard de son cœur de Père, regard caché à nos yeux. Un jour viendra le jugement définitif à l’heure du retour du Christ. Notre cœur et notre esprit humain ne peuvent, quant à eux, s’empêcher de mener leur propre jugement. Éloge dithyrambique du défunt pour les uns ou règlement de compte pour les autres, quand les deux ne se mêlent pas dans un échange non maîtrisé sur cette pauvre vie humaine arrachée à notre regard. L’homme dépasse l’homme. La complexité d’une vie nous échappe toujours. Les secrets d’une âme sont incommunicables. Les survivants font ce qu’ils peuvent pour comprendre ce que fut ce proche si cher ou quelque peu détesté, cette personne qui a compté pour eux, pour peu ou pour beaucoup.

Quelle est donc la question fondamentale que nous nous posons tous dans cet étrange débat provoquée par toute mort? Il s’agit de poids. Non les poids et mesures de nos balances commerciales. Non ! Mais de quel poids pèse ou a pesé cette vie dans notre vie, dans ma vie ? De quel poids pèsera-t-elle encore dans l’histoire, la nôtre et celle de notre pays ? Pour combien de temps aura-t-elle du poids ? N’est-ce pas ce que nous écrivons très souvent sur les plaques de nos tombes : nous ne t’oublierons jamais... Vœu pieux, même s’ils sont sincères. Car l’oubli n’aura pas lieu, seulement si la vie a eu du poids, un poids réel qui a fourni son lot de peines et de joies, peut-être son lot de guerres et de paix. Mais l’oubli aura lieu si rien de véritable et d’éternel n’a été vécu dans les années d’une histoire d’homme si courtes au regard des milliards d’année de la création.

Le poids de la vie de Jésus Christ est immense, infini. Il marque encore le comput des années de nos sociétés d’origine judéo-chrétienne, sociétés glissant pourtant aujourd’hui dans un athéisme de bon aloi, parfois militant par un anticléricalisme sournois mais réel. En pour ou en contre, nul ne peut ignorer le poids de la vie de Jésus ne serait ce que par les milliards d’hommes qui se réclament de lui et par l’impact des communautés chrétiennes dans le cours de l’histoire de nos continents.

La mort d’un homme révéle toujours ce qu’est l’homme en question. La mort de Jésus le révèle plus que tout autre et plus que n’importe lequel de ses enseignements. Les derniers mots d’un homme sont comme un testament qui dit le cœur et le poids de la vie de cet homme. Or la prière de Jésus, tout son enseignement ultime avant de mourir est pour nous. Il supplie son Père de nous donner le poids de sa vie. «  Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j'avais auprès de toi, avant que fût le monde... » Jn 17, 7 La gloire de Jésus c’est donc que nous participions pas moins qu’à sa propre gloire. Ainsi Jésus poursuit sa prière « Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un : ... Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire, que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde. » Jn 17, 22 ... 24 Qu’est-ce donc que cette gloire de Jésus qui est aussi celle de son Père ? En hébreu le mot gloire signifie le poids, ce qui a du poids. Ce qui fait qu’une vie vaut la peine d’être vécu. Ce qui fait le poids d’une vie et son impact dans l’histoire. La gloire du Père et du Fils c’est l’Amour-personne qu’est l’Esprit Saint, échange des deux adorables qui, comme nous le disons dans le symbole de Nicée-Constantinople, « avec le Père et le Fils reçoit même adoration et même gloire » parce qu’il « est Seigneur et il donne la vie. » Le Père donne tout ce qu’il est au Fils et le Fils donne tout ce qu’il est au Père. Leur échange-don est la personne de l’Esprit Saint. Ils sont un en trois et trois en un par ce que ce qu’est chacun est totalement offert à l’autre sans l’once d’une retenue ni d’un quelconque accaparement. L’Amour est pauvre par nature, dépouillé de soi et trouve sa gloire dans l’autre et dans l’échange de pauvreté qui donne à l’un et à l’autre de n’exister que l’un par l’autre, ne se possédant pas, mais étant possédé par l’échange en personne qu’est l’Esprit Amour. « Si Dieu est amour, il ne peut être que trois » dira un petit enfant. « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. » Jn 16, 13-15

Le Christ n’a donc d’autre désir et d’autre volonté pour nous que de nous partager sa Gloire, commune d’avec le Père, son Esprit Saint. Jésus veut que nous lui ressemblions, non d’une façon banale de mode où tout le monde porte le vêtement de tout le monde, mais à l’exemple de l’extraordinaire richesse des créatures de tout le cosmos ou la diversité extrême invite à l’échange véritable et à la communion. Seul son Esprit d’amour peut réaliser cela et nous mettre en communion avec le Père et le Fils pour nous faire chanter chacun dans notre être unique une note unique au cœur de la symphonie extraordinaire et multiforme de la création.

C’est pourquoi Saint Paul nous invite à être d’authentiques chrétiens en « marchant dans l’Esprit Saint » et non en suivant les passions de la chair. Il ne s’agit donc pas de suivre les mouvements de notre humanité abandonnée à ses instincts, à ses besoins ou à ses désirs même les plus légitimes. Le libéralisme des mœurs et celui d’une économie débridée, sans souci du bien commun et d’une humanisation des personnes, est de l’ordre du paganisme si ce n’est pas du satanisme. Tout cela a le poids de l’instant ou de l’époque, de l’éphémère et du superficiel. À propos des courants traversant nos sociétés Saint Jean-Paul II osera parler d’une culture de mort. Ou bien comme le dit l’Apocalypse de Jean : « Tu crois que tu es vivant, mais tu es mort. » Ap 3, 1 Pour n’être point des morts vivants offrons donc toute notre personne et toutes nos sociétés au Christ pour vivre de son Esprit. Cet Esprit que Jésus appelle le Paraclet c’est-à-dire le défenseur ou l’avocat. Oui, nous avons besoin de cet Esprit du Christ pour faire de l’éternel avec du temporel, du spirituel avec du matériel. L’esprit est à la racine de la création comme tendrait à nous le dire actuellement les astrophysiciens d’aujourd’hui. La matière de notre univers est peut-être plus spirituelle qu’on ne le croit. Le scientisme et le positivisme ont donc du plomb dans l’aile, mais chut..., ne le dites pas trop fort cela pourrait déranger le philosophiquement correct de l’époque, même si ce sont des hommes de science qui nous affirme cette nouveauté étonnant de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit. Nous croyons, nous chrétiens, que l’Esprit est créateur avec le créateur qu’est le Fils, « les deux mains » du Père disait Saint Irénée. Vivons donc sous sa conduite pour comprendre les lois de la nature et de la révélation qui seules, dans le souffle de l’Esprit, peuvent nous conduire à mener notre vie et à marquer l’histoire pour la seule Gloire de Dieu et le salut de hommes, rejetant la « culture du déchet » selon une expression forte du Pape François.

St Francois
Vitrail de l'église St Damien Assise

Vitrail de l'église St Damien Assise

Qui d’entre nous sait par cœur en français  le Veni Creator? Qui le sait le prie-t-il tous les jours ? Connaissez vous les sept dons de l’Esprit Saint ? Pouvez vous les nommer et savoir qui sont-ils et pour quelle efficacité spirituelle ? Et qui les demandent régulièrement avant chaque action ou entreprise liée à ses responsabilités ? Si ce n’est pas le cas, à vos catéchismes les amis, vous êtes en danger de sous alimentation spirituelle si ce n’est pas d’anémie mortelle.

Un certain Karol Wojyla, alors enfant, se fit corriger affectueusement par son papa parce qu’il ne priait pas assez l’Esprit Saint et le papa en bon pédagogue d’apprendre à son garçon une prière à l’Esprit Saint comprenant les sept dons de l’Esprit Créateur. Ce dernier la priera toute sa vie, jusque sur le siège de Pierre.

Saint Jean-Paul II dira aux jeunes «  Si vous êtes ce que vous devez être vous mettrez le feu au monde. » Nous ne serons jamais pleinement chrétiens, ni ne pourrons jamais remplir notre vocation propre, sans le Christ et sans son Esprit Saint.  Nous saurons  seulement à ses fruits si l’Esprit agit en nous : « On sait bien à quelles actions mène la chair : inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui commettent de telles actions ne recevront pas en héritage le royaume de Dieu. Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. En ces domaines, la Loi n’intervient pas. Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit. » Ga 5, 19-25

Alors et alors seulement notre vie aura du poids pour nos proches, comme pour l’histoire de tous quelque soit le nombre de nos années. A notre mort, quelle que soit la peine de ceux que nous quitterons en les ayant aimé en vérité, l’Esprit continuera de chanter dans leur cœur et poursuivra son œuvre pour tous jusqu’au jour de l’Eternité.

© Fr. Jean-Dominique 2017