Une année de Sabbat à Notre-Dame du Laus

Homélie pour le 2  Septembre 2017, premier samedi du mois, mémoire de Notre-Dame du Laus

Fr. Jean-Dominique DUBOIS, ofm

Détail de l'enluminure

 

« Je suis Dame Marie. » C’est par ces mots très simples que la belle Dame se nomme à Benoîte après plusieurs mois de rencontres silencieuses. La beauté, le sourire, la simplicité de la Dame ont déjà conquis le cœur de la bergère de Saint Etienne d’Avançon. La rencontre est sans fard, inscrite dans le quotidien d’une enfant de l’Avance, quotidien bien réel et dur en son naturel. Ici point de protocoles ni de manières mondaines. Le ciel n’aime pas cela et la terre des Alpes ne s’y prête point. La vie au naturel, dans sa grande beauté et sa rudesse, forgent ici les tempéraments. Il faut avoir le génie du ciel pour les rejoindre et les conduire à l’essentiel comme la bergère sait conduire ses moutons. La Dame n’est-elle pas la Mère du vrai pasteur ? « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent » Jn 10, 14

 

Faut-il qu’elle connaisse le franciscain que je suis pour m’avoir conduit au Laus en ce printemps 2016 ? J’étais au terme de quatre années de mission à Lourdes comme chapelain, en quête d’un lieu de repos pour réfléchir dans le Seigneur et en Eglise à l’appel qui me taraude depuis mon ordination sacerdotale : la transmission de la foi aux adultes. Le synode des évêques pour l’Europe a déclaré en son temps qu’un des grands défis actuels des Églises d’Europe c’est l’évangélisation de personnes sacramentalisées mais en manque crucial de catéchèse.

Paul Claudel a dit de Marie qu’elle est la « contrebandière » du ciel. Méfiez vous de ses enfants car ils deviennent à leur manière des contrebandiers du Seigneur. Un simple coup de fil pour renseignement au Père Ludovic m’a valu d’être embauché au Laus comme chapelain pour un an. Et Monsieur le recteur de me dire : « comment cela pourra-t-il être un repos ? » Allez comprendre les brigands du Seigneur qui ont bien entendu votre demande mais qui s’interroge eux-mêmes sur la réponse qu’ils vous font.

Quand il s’agit de la Vierge Marie, la contrebande est bonne. Il ne faut s’étonner de rien. Il suffit comme Benoîte de faire confiance, de ne pas entretenir des inquiétudes inutiles et de s’armer de patience. Toutes choses qui ne sont pas forcément de tout repos quand on a un tempérament de battant et de leader et que, « ô mon bon ange », on a un corps qui parfois se traîne.

 

« Je suis Dame Marie. » Ô oui, Marie est une Dame et une grande Dame. Sa noblesse n’écrase point. Sa lumière ne vous aveugle point. Sa parole ne vous effraye point. Avec elle on est à l’école de l’Evangile, de ce Fils qui est sien, la chair de sa chair, et dont, avec le temps, elle nous apprend à ressembler pour la douceur et l’humilité du cœur. Benoîte aura eu besoin de 54 années. Mon année au Laus n’y suffira point. Néanmoins cela a commencé pour moi il y a quarante ans et plus. Mon année au Laus aura été une année intense à l’école de Marie. Les années qui arrivent sont le seul secret du Seigneur dans leur nombre et leurs modalités.

Un sabbat dans la Bible est un jour « pas comme les autres ». Mon année au Laus ne fut pas comme toutes les autres années de ministère que j’ai déjà assumées. La pédagogie de Marie au Laus est une pédagogie de repos pour tous. L’écrin de verdure, la permanence du soleil et d’un climat des plus cléments, la simplicité des lieux, la cohérence et l’harmonie qui s’y vit en tous ses acteurs au milieu des habitants de la région sont à eux seuls une source de repos pour tous les pèlerins. Le ciel parle à travers la terre qu’elle choisit. La création est le premier livre de la Révélation.

 

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Notre-Dame du Laus c’est d’abord le regard de Marie de Nazareth. Que peut-il sortir de bon de Nazareth Jn 1,46,  se demandait Nathanaël à propos de ce nouveau rabbi, Jésus dit de Nazareth ? Le pèlerin qui vient au Laus peut souvent se demander ce qu’il peut bien sortir de son Nazareth à lui, de sa vie si ordinaire, souvent pleines de bosses et d’ornières fabriquées par les épreuves et les malheurs d’une vie. Pauvre pèlerin que nous sommes tous en montant au Laus. Tiens, ... justement il faut monter, ce qu’a fait ce matin notre curé le Père Sébastien avec quelques paroissiens de Gap. Monter c’est décrocher de son ordinaire, se délester et peut-être regarder les bosses et les trous de nos vies autrement, plus exactement d’un autre point de vue, le point de vue de Dieu. Marie de Nazareth est experte en la matière, car, la première en chemin, elle a en a bénéficié à plein.

Personne, dans l’histoire pluriséculaire d’Israël, ne parle de Nazareth. Les historiens du temps non plus. Inconnue de tous, cette pauvre bourgade de Galilée n’est mentionnée dans aucune prophétie annonçant le Messie ou une ère messianique. Nathanaël a raison, que peut-il sortir de bon d’une bourgade dont personne ne parle. Dieu seul se penche sur Nazareth, pour nous dire que son regard est d’abord et fondamentalement sur ce qu’il y a de plus beau en nous. Ce qu’il a fait de toute éternité quand il nous a créés de façon totalement unique dans le sein de notre maman. Dieu contemple en chacun de nous ce qu’il a voulu de toute éternité pour chaque unique que nous sommes « dès avant la fondation du monde » dès avant notre conception. Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? Cachée aux yeux des hommes Dieu regarde à Nazareth la perle de sa création, les débuts de la création nouvelle, l’aurore d’un monde nouveau où il n’y aura plus de larmes et de souffrances. Dieu contemple celle qui sera dite par l’Église conçue sans péché, celle qui dira à Lourdes : « Je suis l’Immaculée Conception. »

Le pèlerin qui monte au Laus va rencontrer dans le sourire et le regard de Marie, la merveille qu’il est aux yeux de Dieu au-delà des côtés cagneux de sa vie. Le pèlerin du Laus peut chanter avec le psalmiste : « Seigneur, tu me sondes et me connais... Tu as mis sur moi ta main. Merveille de science qui me dépasse, hauteur où je ne puis atteindre. » Ps 139, 1 ; 6

Notre-Dame du Laus ce sont aussi de multiples rencontres avec Dame Marie perdurant sur cinquante quatre années. Le rythme est celui de la Dame, à son heure et à son temps à elle, pour conduire son enfant là où elle seule sait qu’il est bon de le conduire. C’est donc beaucoup d’obéissance, de patience, d’abandon et surtout de silence pour la bergère du Laus et le pèlerin qui monte ici.

Marie de l’Annonciation, Marie de Nazareth nous la contemplons dans la Gloire du Ciel et nous pensons trop souvent que parce qu’elle a vu et entendu l’ange Gabriel tout fut pour elle facile, aisé et sans embûche. Comment ne savons-nous pas que plus la lumière est grande, plus la foi doit être grande ? Saint Jean-Paul II nous dépeint toujours Marie comme celle qui chemine dans la foi, non dans la pleine vision. Celle que les artistes en leur génie ont représenté enceinte, au terme de sa grossesse, une main sur son ventre et l’autre tenant la Bible ? Qui est cet enfant que je porte ?... Mon enfant pourquoi nous as-tu fait cela ?... Il sera grand, a dit l’Ange, mais quand est-il de cette grandeur quand elle contemple ce Fils misérablement pendu sur la croix, un ver non point un homme ? Marie est mère de son Fils par sa foi avant de l’être par sa chair. Elle est plus grande par son humilité que par sa virginité dira Saint Bernard. L’épreuve d’une vie, pour Marie, comme pour nous, c’est de croire à notre vocation.

Le silence et l’humilité du Laus ne font qu’un avec le silence et l’humilité de Marie. Ici on descend de son piédestal, celui que nous forge notre entourage, notre orgueil ou notre égoïsme pour descendre dans les profondeurs du temps de Dieu, de sa pédagogie, de son amour patient qui a créé ces belles montagnes des Alpes sur des milliards d’années. De quoi apprendre à se déconnecter du superficiel et du passager pour se connecter sur l’essentiel qui conduit à l’éternité au temps et au rythme de Dieu. La Vierge Marie est experte en pédagogie divine car elle en a bénéficié la première pour la plus grande Gloire de Seigneur et la nôtre.


Enfin Notre-Dame du Laus, c’est Notre-Dame de l’Église, Notre-Dame du Cénacle, Notre-Dame des Apôtres. Le don de sa Mère à son apôtre Jean n’est pas pour Jésus une simple délicatesse de fils  pour que sa mère ne soit point seule ou abandonnée après sa mort. Le don de Marie à Jean est le testament de Jésus, son dernier acte messianique. C’est donc une volonté formelle du Christ pour nous tous disciples de prendre, comme Jean l’apôtre, Marie pour Mère en notre intimité d’âme. Le cardinal Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, dira que « c’est essentiel à l’équilibre de notre foi ».  Un autre théologien de sa race, repris par Jean-Paul II, Urs von Balthazar, dira de l’Eglise qu’elle a deux visages, le visage marial et le visage pétrinien. Il ajoutera que si l’Eglise oublie son visage marial, elle se masculinise et ne s’occupe que de ses structures.

Notre-Dame du Laus renvoie Benoîte aux prêtres. Dès les débuts rien ne se fera ici sans eux et sans l’Eglise. Car Marie n’est pas au-dessus de l’Eglise. Elle en est un membre unique et à une place éminente, mais elle est « dans le mystère du Christ et de l’Eglise » dira le Concile Vatican II. C’est à ses apôtres que le Christ a confié d’enseigner son peuple et de le sanctifier. Ici au Laus sous la conduite de Marie, Benoîte en sa mission de laïc, témoin privilégié de la pédagogie de la Mère de Dieu, et les prêtres, apôtres de Jésus, vont conduire les pèlerins aux sources du salut afin de guérir du péché. Que les pèlerins du Laus deviennent des témoins lumineux de l’Unique Sauveur du monde.

 

Une année sabbatique au Laus me conduit donc aujourd’hui à recevoir une nouvelle mission. Avec Marie, allant de Nazareth à un matin de Pâques en passant par la Galilée et la Jérusalem du Golgotha, le Laus m’aura restauré dans ma vocation de fils de saint François et de prêtre de Jésus en fidélité à celui qui est mon Créateur. Tout cela selon ce que je suis venu approfondir dans le réel de l’Eglise d’aujourd’hui en ses joies et ses peines, et dans l’obéissance aux successeurs des apôtres.

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Monseigneur di Falco aimait redire que le Laus est le cœur du diocèse de Gap et Embrun. Comme il avait raison et quelle grâce pour le diocèse haut alpin d’avoir en son sein un sanctuaire marial propre à exprimer de la meilleure manière qui soit ce que Jésus a voulu pour toute son Église. Marie et l’Église, jamais l’une sans l’autre, pour faire des disciples et des témoins de l’éternel dessein d’amour du Père pour tout homme. Merci cher Père Ludovic, frères et Pères chapelains. Merci à vous sœurs en Saint Benoît pour votre présence contemplative autant qu’efficace. Merci à vous chers amis pèlerins qui nous donnez la joie d’être prêtre. Merci de prier pour moi afin que je sois disciple et apôtre de Jésus parmi vous, puisque du cœur je suis envoyé au corps de l’Eglise qui est à Gap. Je vous assure de ma prière. Que Dieu vous bénisse.

© Fr. Jean-Dominique 2017